Le bourg de Gaillac-Toulza présente le contraste le plus frappant avec son voisin de Caujac. Blotti à l'extrémité d'un étroit vallon, dissimulé au milieu d'une masse de verdure, il offre, à la saison printanière, le plus riant et le plus pittoresque aspect. Quoi qu'en dise la légende, Gaillac ne fut, avant la fin du XIIIe siècle, qu'un alleu du nom de Gallax ou Galac, attribué au comte de Foix vers 1034, dans le partage entre lui et son oncle Pierre, évêque de Girone. Cette localité doit son origine à la bastide qui fut fondée en conséquence du paréage conclu le jeudi après la Toussaint 1270, entre Bernard du Bosc, abbé du monastère voisin de Calera, et Alphonse de Poitiers, comte de Toulouse, frère de Louis IX, paréage confirmé successivement en octobre 1288 par Philippe IV, puis en février 1323 par Charles IV.
Ce bourg placé sur les confins du Languedoc et du comté de Foix eut à souffrir du différend qui s'éleva entre les comtes de Toulouse et de Foix au sujet de la possession de la nouvelle bastide. Il semble pourtant qu'elle fut attribuée à celui de Toulouse. Cette localité embrassa le parti de la ligue au 16e siècle et les habitants massacrèrent, en 1594, une compagnie de gens d'armes que le maréchal de Matignon y avait cantonnée.
L'église, édifiée à la fin du XIII siècle, était attenante à la partie septentrionale des remparts; on y accède aujourd'hui par une ruelle étroite, mal pavée, où quelques masures la dérobent complètement aux regards (1900). Elle a subi de profondes modifications dans le courant du XIXe siècle. Le chœur, la voûte et le clocher ont été refaits, les uns en 1840, l'autre en 1869. Le chevet a été économiquement reculé dans l'intérieur de la nef, de telle sorte que les proportions primitives ayant disparu, l'harmonie du vaisseau a été totalement rompue. Le côté droit, le plus ancien, renferme quatre chapelles inégales; celui de gauche a été remanié. Dans l'une des anciennes chapelles, est encore conservée une statue de la Vierge, en bois peint, du XVIIIe siècle, provenant de l'abbaye de Calers.
L'église ne diffère, d'ailleurs, en rien du type de la majeure partie des édifices religieux de la région que A. de Caumont attribue à la fin du XVè siècle et qu'il convient de placer certainement à une époque plus récente. Le clocher-arcade en briques, refait, affirme-t-on, sur le plan primitif, devait être aménagé pour la défense; il mesure 2m80 d'épaisseur. C'est en 1868-1869 que cette restauration eut lieu, et on en profita pour badigeonner au plâtre les moulures du portail. Il faut avouer, cependant, que cette profanation a été faite d'une façon relativement intelligente, mais la belle patine de la pierre a disparu.
Le portail s'ouvre dans une façade de pierre qui est, en quelque sorte, enchâssée dans la maçonnerie du clocher. Une corniche horizontale couronne cette façade; elle est soutenue par dix modillons représentant des têtes de moines, de monstres grimaçants., de taureau, de singe, de bélier; enfin, un oiseau de proie surmonté d'une fleur de lis. Selon toute vraisemblance, l'artiste a voulu reproduire les armoiries de la nouvelle bastide qui sont: d'azur au coq d'argent, becqué et membré d'or, surmonté d'une fleur de lis de même.
L'archivolte en arc brisé est formée de quatre voussures ornées de tores et encadrée d'un cordon décoré de chimères. Malgré certaines tentatives d'interprétation, il ne faut pas voir dans ces moulures la représentation des sept péchés capitaux. J'estime, avec M. Maie, qu'il convient de se montrer très réservé au point de vue de la symbolique dans l'oeuvre du XIIIè siècle due à ces délicats artistes. Trois de ces voussures reposent sur autant de colonnettes de marbre blanc, couronnées par des chapiteaux historiés, formant une série qui se continue par une frise extérieure sur la façade, et intérieure, au-dessous du linteau. La quatrième archivolte se prolonge pour former le pied droit de la porte.
Les tailloirs des chapiteaux et des frises offrent une suite ininterrompue de rinceaux fort délicatement sculptés.
Dans la partie droite, nous retrouvons les principales scènes de la vie de la Vierge. Sur la frise extérieure, nous voyons d'abord saint Michel, armé d'une grande croix, terrassant le dragon. Viennent ensuite la Visitation, l'Annonciation. Voici un chapiteau qui interrompt la série. Ce fait provient-il d'une transposition commise lors de la restauration de l'église?
Quoi qu'il en soit, nous y voyons les apôtres saint Pierre et saint Paul accompagnés d'un ange.
Avec le second, nous poursuivons l'histoire de la Vierge. C'est d'abord la fuite en Égypte; saint Joseph marche droit devant lui sans se retourner, ainsi qu'il est représenté au XIIe siècle; puis la Nativité, dont tous les détails sont frappants de netteté. Le dernier motif figuré sur la frise intérieure nous montre l'Adoration des Mages, conforme en tous points au type consacré à la fin du XIIIe siècle. La scène est charmante d'expression. Les Mages, dont Jacques de Voragine nous a appris les noms, sont parfaitement caractérisés. Le vieux Melchior, à genoux, a ôté sa couronne pour faire son offrande; Balthazar,fuscus, montre l'étoile qui brille aux cieux et tient la myrrhe de la main droite; Caspard, imberbe, – plus tard Gaspard, vient ensuite portant l'encens. Tous deux sont debout et couronnés. Nous distinguons bien, à gauche de la Vierge, un ange dont la présence parait quelque peu insolite, quoiqu'on le trouve en Italie sur des fresques de Giotto; mais il figure très vraisemblablement ici pour remplir une place vide.
L'ornementation de la partie gauche est plus obscure d'interprétalion.
Que signifie, en effet, la première scène de la frise extérieure, ou un personnage, assis sur un quadrupède, lève la main gauche munie d'un bâton? L'animal est certainement un âne, la forme des pattes ne permet pas d'en douter. Serait-ce l'entrée de Jésus à Jérusalem que le sculpteur aurait voulu représenter? Une hypothèse a été émise par M. Mâle, sous toute réserve, bien entendu, saint Aventin monté sur un ours qu'il passait pour apprivoiser, selon la légende. Le premier chapiteau montre un groupe de personnages, trois apôtres vraisemblablement. Les attributs, assez vagues au XIIIe siècle, ne permettent pas de les déterminer. Le premier, à gauche, porteur seulement de son bourdon, serait-il saint Jacques le Majeur, qui n'apparaît véritablement en pèlerin qu'au XIVe siècle (?)
Le second chapiteau me semble moins douteux. L'artiste a voulu figurer un abbé du monastère de Calers,- celui du paréage, – escorté de deux religieux. Le troisième ainsi que la frise intérieure ne présentent plus de difficultés. C'est d'abord le martyre de saint Laurent. Un ange au dessus de lui emporte son âme sous la figure d'un petit enfant.
Vient ensuite la lapidation de saint Étienne, patron de l'église de Gaillac. Enfin, ces deux scènes de martyres semblent, en quelque sorte, être contemplées par un Dieu de majesté, très archaïque et de tradition romane.
L'ornementation de ce châpiteau ne manque pas d'Intérêt. Ces œuvres de sculpteurs anonymes du XIIIe siècle sont extrêmement rares dans cette région du Toulousain, où les guerres du moyen âge et les luttes religieuses de la fin du XVIe et du commencement du XVIIe siècle furent particulièrement sanglantes, et firent disparaître presque tous les monuments religieux que les événements antérieurs avaient respectés. A ce titre, ce spécimen de l'art religieux du XIIIe siècle dans le Midi, mérite d'être mis en lumière et doit être conservé intact dans leur grâce primitive et naïve qui en fait aujourd'hui tout le charme.
C. BARRIERE-FLVY
Correspondant du Comité. (1900)