Gaillac Toulza, Gaillac Toulza, Gailhac
Mémoire de M. VICTOR FONS. (Extrait de ses écrits...)
L'on sait que les moines, outre l'honneur qui leur revient
d'avoir contribué pour une large part au mouvement intellectuel
qui agita le moyen âge, participèrent aussi à la fondation d'un
grand nombre de villes ou villages. Parmi les centres de population de notre Midi qui leur doivent leur origine, il faut ranger le bourg de Gaillac-Toulza, situé à quelques lieues de Toulouse; car, d'après un document que j'ai récemment découvert, c'est, en effet, aux religieux de l'abbaye de Calers que l'ancienne bastide de Gaillac doit son existence, et non à je ne sais quels personnages qui l'auraient construite au second siècle de notre ère, ainsi que le laissaient écrire , il y a environ cent ans, les crédules consuls dé cette localité.
Mais, d'abord, qu'était-ce que l'abbaye de Calers, et en quel
lieu était-elle placée ? C'est ce que je vais faire connaître en
deux mots:
Dans un petit vallon qui s'ouvre sur la plaine d'Auterive , à l'opposite de Cintegabelle , en notre département, on voit , à une distance d'environ 4,500 mètres, en deçà du bourg de Gaillac-Toulza , une grande maison qu'un document de l'année 1790, émané des officiers municipaux de ce lieu, présentait comme « solidement et joliment décorée » : ce sont les bâtiments qui restent de l'ancienne abbaye de Calers, monastère de Bernardins qui, s'il faut en juger par les notes que j'ai recueillies , possédait tout le confortable et les agréments tolérés dans les couvents de ces religieux, depuis l'introduction de la Commende, qui porta une atteinte si funeste à l'ancienne discipline monastique.
Cette abbaye fut établie au milieu du XIIe siècle. Elle relevait de celle de Grandselve ; son nom lui venait du ruisseau de Calers , sur les bords duquel elle fut placée. Comme tous les monastères, en général, elle fut fondée à l'aide de dons et de libéralités pieuses. La charte qui nous en fait connaître l'origine, est de l'année 1447; c'est l'acte par lequel trois hommes du pays, trois frères puissamment riches, divitiis et latifurtdiis affluentes, firent donation à l'abbé de Grandselve des terres au milieu desquelles l'abbaye devait s'élever : Donamus Deo et Sanctoe Marioe et Bertrando abbati Grandissilvoe, et monachis ibidem Deo servientibus..., totam terrain nostram quoe est inter com bam de Goyre et condaminam Rossanellam, et usque ad rivum Calertii, cullam et incultam
La donation faite, l'abbé de Grandselve édifia, à l'endroit désigné , un monastère où il conduisit quelques-uns de ses religieux. — C'est là l'origine de l'abbaye de Calers.
Il paraît qu'à cette époque, le lieu où l'abbaye fut établie était sous la domination des comtes de Foix et faisait ainsi partie de leurs Etats ; car on lit dans l'acte d'hommage que Roger, l'un d'eux, rendit au roi de France, en 1263,.. : Et quòd dictus D. Comes Fuxensis à Rege lenet... Superdominationem Abba tial Calertii, ordinis cisterciensis, cum grangiis suis de Sancto Juliano. Une autre preuve plus concluante encore que l'abbaye de Calers se trouvait alors, au comté de Foix, se puise dans l'enquête sur les limites de ce comté, dressée en 1272.
A cette époque, le roi de France, Philippe-le-Hardi, à la suite de la guerre qu'il avait déclarée au jeune comte de Foix, Roger Bernard III, venait de saisir les domaines de ce prince. Il paraît que les officiers qu'il avait établis dans le pays pour le gouverner, n'étaient pas mieux fixés que ceux des pays environnants sur les limites du comté: quos fines , limites et districtus dicti comitatûs... in dubium revocabant, sive usque ad quoe loca extenderentur. Pour les connaître d'une manière certaine et éviter dans l'avenir tout sujet de contestation sur ce point, ne ratione dubitationis hujusmodi posset in proesenti aut in posterim inter ipsos senescallos vel quoscumque alios frontalerios , contentionis materia et discordioe suboriri, Pierre de Villars , sénéchal royal du pays de Foix ; Eustache de Beaumarchais , sénéchal de Toulouse , et Guillaume de Cohardon, sénéchal de Carcassonne s'assemblèrent au château de Foix, au mois de juillet 1272 , et y ouvrirent une enquête.
On lit dans l'acte qui en contient les résultats, que le comté de Foix s'étendait ad rivum TOS tùm inter Caviacum (Caujac dans le Toulousain) et Calertium. Comme on le voit, c'était on ne peut plus clair et précis : ce qui explique pourquoi l'abbé Expilly a pu dire que l'abbaye de Calers était située « dans le comté de Foix. » C'est, selon toute probabilité , ensuite de l'acte de paréage, que cette parcelle
des Etats des comtes de Foix se trouva dans les limites de ceux du comte de Toulouse, y resta malgré l'enquête de 1272, et qu'elle fit ainsi partie de la province de Languedoc, où la placent, en effet, les auteurs du Dictionnaire universel de la France ancienne et moderne.
Quoi qu'il en soit, voici à quelle occasion intervint le paréage:
Les religieux de Calers étaient seigneurs du territoire dit de Gaillac : territorii et honoris de Gaillaco, dans lequel se trouvait leur abbaye. Ces religieux ayant été troublés, paraît-il, à diverses époques , on ne sait par qui, dans la possession de leurs priviléges , cherchèrent à se procurer auprès de chefs puissants les garanties dont ils avaient besoin pour leur sécurité. Dans l'année 1270 , ils appelèrent en paréage le comte et la comtesse de Toulouse , qui leur accordèrent ainsi leur protection , trouvant bon de s'annexer de la sorte, suivant une expression aujourd'hui consacrée , cette portion des Etats du comte de Foix, procédé qui a eu depuis plus d'un imitateur.
L'acte de paréage, passé à Calers après la fête de tous les Saints, fut arrêté entre l'abbé de Calers, Frère Bernard de Bosco, d'une part, et de l'autre, Alfonse de Poitiers et la comtesse Jeanne, sa femme représentés par Théobald de Nangierville ou Nangerville, sénéchal de Toulouse.
Par le paréage dont il s'agit, consenti pour le bien du monastère de Calers , ad ulilitatem fratrum monasterii de Calertio et aussi, qu'on le remarque , pour sa tranquillité, ad tranquillitatem et pacem in posterùm conservandam, l'abbé cède au comte et à la comtesse de Toulouse : medietatem totius territorii et honoris de Gaillaco cum omnibus juribus et pertinentes suis, proùt dictam territorium hubemus , dit l'abbé de Calers, et ténemus nos et monasterium suprà diction. Il leur abandonne la moitié des droits de justice , des amendes et autres droits semblables, jusques à la somme de soixante sols toulousains , et réserve pour le monastère l'autre moitié. Tout ce qui excéderait cette somme, le comte devait le percevoir en signe de la haute justice qui ' lui était reconnue en ce pays de Gaillac:
Si summum sexaginta solidorum Tholosanorum excesserit, in signum altoe justitioe integraliterpercipiet; et comme conséquence de ce droit de haute justice , le juge du comte est investi de celui de juger les causes ordinaires dans la temporalité de l'abbaye , après avoir prêté serment à l'un et à l'autre seigneur, c'est-à-dire au comte de Toulouse et à l'abbé de Calers : ITEM quôd judex domini comitis Tolosani..., causas ordinarias temporales ibidem au diat, et teneat curiam communiter pro nobis et domino comiti et super judicaturâ dicti loci proestet juramentum DTRIQUE DOMINO. On trouve ici l'origine de ce siége de justice, auquel les praticiens du pays donnaient, au XVIIe siècle, d'après des documents que j'ai vus, le titre pompeux de « Cour royalle de la ville de Gaillac-Tholosain. »
Il y a une autre disposition reproduite dans l'acte de 1270, la plus intéressante peut-être de toutes : la construction de la BASTIDE DE GAILLAC
Il ne suffisait pas aux moines de Calers de s'être donné des protecteurs dans la personne du comte et de la comtesse de Toulouse , vivant éloignés de leur abbaye ; ils voulurent, en même temps, créer, dans l'étendue de leurs terres, un centre de population pour y trouver, probablement, dans les circonstances critiques et au moment même du danger , des défenseurs contre les ennemis de leur monastère; car les termes de l'acte de paréage, ad tranquillitatem et pacem in posterùm conservandam, autorisent cette conjecture. Quoi qu'il en soit, l'on a vu que l'abbé de Calers a donné au comte et à la comtesse de Toulouse la moitié du territoire et de l'honor de Gaillac ; mais cette donation est faite à la condition qu'ils y feront construire , de concert avec l'abbé et ses religieux, une Bastide ou village... ut faciatis et constituatis... unam Bastidam seu villam, unà nobiscum et dicto vionasterio Calercii... Et pour cette nouvelle Bastide, l'abbé de Calers stipule les mêmes droits que pour le paréage du territoire de Gaillac : Et quoi eadem Bastida seu villa et territorium sint pro indiviso communia nobis et domino comiti suprà dicto.
Le comte et la comtesse de Toulouse devaient se montrer d'autant plus empressés à accepter la condition contenue en l'acte de 1270 , que déjà ils avaient fait construire plusieurs Bastides dans notre pays, et avaient ainsi agrandi considérablement leur domaine dans le Toulousain. Les conditions du paréage furent donc acceptées. Ajoutons qu'elles ne tardèrent pas à être remplies; car la Bastide de Gaillac fut construite, non sans doute, du vivant du comte de Toulouse, décédé, comme l'on sait, l'année suivante , du moins le MÉMOIRE des acquisitions par lui faites dans le Toulousain, dressé à cette époque, ne la mentionne pas; mais il est certain qu'elle était construite cinq ou six ans après; car l'on voit, en 1277, le comte de Foix, à qui le roi de France avait pardonné, réclamer, avec les autres biens dont il avait été dépouillé après la guerre mentionnée plus haut , la restitution de la Bastide de Gaillac, nom qui apparaît pour la première fois dans l'histoire. La Bastide dont il s'agit fut, donc, construite ensuite du paréage de 1270; et c'est ainsi que vient se joindre à toutes ces localités qui doivent leur berceau aux moines, la petite ville de GAILLAC-TOULZA, dont ni les géographes, ni les historiens n'ont indiqué l'origine.
Ce qui venait de se passer entre l'abbé de Calers et les souverains de Toulouse, ne pouvait que déplaire au comte de Foix, qui prétendait avoir, non sans raison, ainsi qu'on l'a vu , des droits sur le pays de Gaillac. Il ne put se résigner, paraît-il, à en faire l'abandon ; car sa mauvaise humeur, à cet égard, se manifesta, un jour, d'une manière violente.
On lit, en effet, dans l'Histoire de Languedoc qu'en l'année 1290 , le comte Roger-Bernard, celui-là même qui, vingt ans auparavant, avait osé résister à Philippe-le-Hardi, fit maltraiter, tuer ou emprisonner des sergents royaux que le sénéchal de Toulouse avait envoyés pour la garde des biens de l'abbaye de' Calers, probablement à la demande des religieux, en vertu de ce fameux paréage.
Ces actes de cruauté, ordonnés ou tolérés par le comte de Foix, durent, sans nul doute, amener des représailles de la part du roi de France, qui avait succédé dans le pays à l'autorité des comtes de Toulouse. Comment ces représailles s'exercèrent-elles? On l'ignore. Nous ne trouvons rien à cet égard dans les livres de nos historiens. Tout ce que nous savons, c'est que le paréage de 1270 continua à s'exécuter entre les moines de Calers et les successeurs du comte de Toulouse : preuve évidente que ce paréage acquit l'autorité d'un fait accompli , que les comtes de Foix, pour leur tranquillité même, avaient fini par accepter.
Cela étant, les fondateurs de la nouvelle Bastide durent accorder à ceux qui vinrent s'y établir, des droits, des immunités, des priviléges. Ils durent aussi, par compensation, leur imposer des devoirs. Mais quels furent ces droits, ces priviléges, quelles furent ces obligations ? L'acte qui les constate, s'il a jamais existé, gît dans la poussière des archives. Nul jusqu'à ce jour n'a eu encore, croyons-nous, la bonne fortune de l'y découvrir. Tout ce que nous savons touchant son administration communale, c'est que Gaillac eut, comme toutes les autres localités de notre Midi , des consuls chargés de gérer et diriger les affaires de la commune, et que ces consuls tenaient, surtout dans les dernières années qui précédèrent la Révolution , un bureau de police auquel était attaché , comme dans les grandes villes , un officier qui prenait le titre de Procureur du Roi à l'Hôtel-de- Ville de Gaillac-Toulza.
Du reste, et ceci suffira à démontrer le degré d'importance qu'on lui avait attribué, là petite ville de Gaillac comptait parmi celles du diocèse de Rieux qui entraient par tour aux Etats de la province ; et elle s'y présentait avec ses armoiries parlantes qu'elle montrait avec ostentation, et qu'elle a religieusement conservées: d'azur, au Coq passant d'argent, crête, barbé et membre d'or ; en chef, une fleur de lis de même.
En 1789, les Gaillaquais furent affranchis des obligations que les fondateurs de leur ville leur avaient imposées ; la Révolution venait de les abolir. Mais en même temps, ils virent disparaître ces franchises et ces priviléges qu'ils en avaient reçus.
Par suite de la nouvelle organisation judiciaire de la France, ils perdirent surtout leur juge , ce juge royal qui avait succédé au juge comtal de 1270, et qui, pendant plus de cinq cents ans, sous ce titre de juge royal ou avec celui de lieutenant du juge de Rieux, leur avait rendu la justice au nom du roi. Et depuis lors, ou à peu près, le bourg de Gaillac-Toulza est l'une des six communes qui composent la circonscription de la justice de paix du canton de Cintegabelle...